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Adieu


France, 2004, 2 h 04, couleur
Réalisation & scénario : Arnaud des Pallières
Photographie : Julien Hirsch
Musique : Martin Wheeler
Interprètes : Michael Lonsdale, Mohamed Rouabhi, Axel Bogousslavsky, Olivier Gourmet, Laurent Lucas, Aurore Clément
Distribution : Shellac


Ismaël a décidé de fuir l'Algérie. Sa femme et sa fille sont cachées quelque part et il ne peut les rejoindre sans attirer avec lui ceux qui le menacent. Il est seul et le voyage qui va l'amener clandestinement en France est l'occasion d'une lettre mentale à sa fille... Quelque part en France, une famille d'agriculteurs est en deuil...

La première séquence (magistrale et inoubliable) du film met en scène la sortie d'usine d'un camion, qui deviendra le fil conducteur des deux histoires, de deux douleurs, le symbole de notre impuissance. Ce camion c'est celui dont va se servir l'amant de la voisine de la famille d'agriculteurs pour transporter de la main d'œuvre clandestine et c'est celui qu'Ismaël va emprunter... Adieu est un film radical, poétique, inclassable et très impressionnant. Il dit l'impossibilité d'être véritablement dans un monde qui génère toujours plus de douleurs face auxquelles nous nous sentons impuissants, notre solitude et l'incompréhension.



- critique du film et rencontre avec Arnaud des Pallières sur le site du ciné-club de Caen

- critique du film sur lesinrocks.com

- critique du film sur liberation.fr

- entretien avec Arnaud Des Pallières sur humanite.fr

- entretien avec Arnaud des Pallières sur objectif-cinema.com

- notes d'Arnaud Des Pallières sur commeaucinema.com

- texte de soutien de l'ACID (Agence du cinéma indépendant pour sa diffusion) - Vincent Dieutre






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Citation - 29 mars à 16:00
"Un film qui, l'air de rien, s'ouvre sur une série de plans qui sont ni plus moins que la requalification des premiers chapitres de la Genèse - une usine de camions pour la Création, le cours d'une enseignante pour l'arbre de la connaissance, l'exil d'un immigré pour l'expulsion du paradis, le deuil d'un proche pour la finitude de l'homme - à l'aune d'une modernité métallique qui aura puissamment contribué à rendre le bien et le mal à leur indiscernabilité, et l'humanité à l'absence de toute consolation".
(Jacques Mandelbaum - "Le Monde", 8 septembre 2004)



Malone - 30 mars à 13:36
Difficile de réagir à ce film… C’est un choc esthétique extraordinaire (son, images, paroles, personnages) et on peut le recevoir comme un grand poème.
En même temps, on ressent le besoin de « comprendre », même si Arnaud des Pallières dit qu’il n’y a « pas de message » - ne serait-ce que de saisir quel est le sens de la réunion de ces deux histoires dans le même film (il faudrait d’ailleurs parler de trois histoires : celle de la famille en deuil, celle d’Ismaël, et celle de « Jonas » racontée par Ismaël).
Un homme fuit un pays où « Dieu » s’est imposé aux hommes sous la forme terrifiante de l’islamisme - pour un autre, le nôtre, où la foi en ce dieu-là (puisqu’il s’agit, paraît-il, du même) s’effondre, et où s’impose un autre « Dieu » : l’argent, le « capital », la marchandise, un monde où tout est « produit », marchandise (camion, slip, animal, force de travail humaine). Cet autre monde refuse d’accueillir Ismaël qui, expulsé, crie sa révolte face à la « victoire de « Dieu » contre les hommes »…
Lecture simpliste d’une œuvre aussi riche et complexe ? Peut-être… Evidemment que le film ne se réduit pas à cela - et qu’on peut proposer d’autres lectures : de l’ensemble, ou de tel ou tel thème, sans parler de l’approche purement cinématographique, etc…
Quelqu’un sur ce forum pour nous parler du Jonas biblique ? de « Moby Dick » ? de la nature ? des animaux ? de la mort ? ou de tout autre chose ?




Citation - Armand Gatti - 31 mars à 11:16
Arnaud Des Pallières cite lui-même dans une interview ces phrases éclairantes d'Armand Gatti, dans « L'aventure de la parole errante » :
« La vie à laquelle est condamnée l'émigration est trop pauvre, sans couleur, sans saveur bien souvent. Il faudrait une parabole pour nous raconter. Elle dirait sans doute beaucoup plus de choses ou sinon elle dirait quelque chose d'autre qui doit se trouver quelque part, peut-être, dans ce que nous sommes. Dans l'esprit du sédentaire, l'émigrant c'est celui qui vient prendre quelque chose, s'emparer de quelque chose et au besoin le voler. Et si c'était une redimension de la vie qu'ils venaient chercher, avec le risque d'être réduits à rien pendant toute leur existence. Alors pourquoi faire du réalisme, ne pas mettre le problème à sa véritable dimension, le mythe, et pas cette réalité qui est un rêve de cancre. »




Half - 04 avril à 22:27
Ismaël (« Adieu ») est fils d’un poète d’Algérie. Il doit fuir le pays, menacé de mort par les islamistes.

Ismaël (« Bible ») est le fils d’Abraham et de sa servante égyptienne Agar. Il est le demi-frère d’Isaac. Il est considéré par la Bible et le Coran comme l’ancêtre des Arabes du désert, désert où il fut exilé, à l’âge de 16 ans, avec sa mère, à la demande de Sara, épouse d’Abraham et mère d’Isaac.

Ismaël (« Moby Dick ») est le narrateur du roman d’Herman Melville, il s’embarque sur le « Pequod » et prend la mer comme on se suicide.

Ismaël, l’émigré d’« Adieu », décide de « raconter son histoire » à sa fille sous la forme d’un mythe mêlant des extraits du « Livre de Jonas » (La Bible) et d’autres de « Moby Dick » (Melville).

Jonas est l’un des douze « petits prophètes » de la Bible (le « Livre de Jonas » fait à peine trois pages). Mais quel drôle de « Livre » et quel drôle de prophète ! Jonas commence par refuser d’exécuter l’ordre de Dieu de se rendre à Ninive où règne le mal et s’embarque dans la direction opposée. Terrible tempête. Tous les marins prient leur dieu pour être sauvés. En vain. Jonas comprend qu’il est cause de la tempête déclenchée par son Dieu, dit qu’il est hébreu, demande qu’on le jette à l’eau pour que la tempête se calme, et cela se produit. Un grand poisson l’avale. Pendant trois jours, dans le ventre du poisson, il dit un psaume, avant d’être recraché par le poisson…

Dans le film « Adieu », Ismaël raconte à peu près cette histoire : il ne dit pas que c’est Jonas lui-même qui demande d’être jeté à la mer - mais c’est le droit d’Arnaud Des Pallières de prendre les libertés qu’il veut avec la Bible - et il ne raconte pas la suite : que Jonas exécute finalement l’ordre divin de se rendre à Ninive, qu’il menace les habitants au nom de Dieu, que ceux-ci se soumettent à la loi divine… qu’alors Dieu renonce à punir les Ninivites et que Jonas ne supporte pas ce « dédit » et cette « miséricorde », qu’il entre dans une colère peut-être bien définitive. Dieu tente alors de donner une leçon à Jonas, mais il semble que ce soit sans effet…

Jonas est un drôle de « prophète »…

Pour d’autres raisons que lui, Ismaël (« Adieu ») retient et incarne du Jonas biblique la désobéissance et la colère. En passant, par la voix de Jonas, Ismaël l’Algérien se revendique « hébreu » : Des Pallières dit quelque part que « mettre en relation l’histoire de Jonas et l’histoire d’Ismaël, c’est peut-être aussi, pour qui veut bien le voir, mettre en relation la manière dont la France a manqué d’accueillir le Juif il y a presque soixante ans et celle dont elle manque aujourd’hui d’accueillir l’Arabe ».

Quel prophète est l’Ismaël d’ « Adieu » ? Quel message dans la grandeur et l’impuissance de son cri de révolte final ? Quel message à nous tous ? à « notre monde » ? (« A-Dieu » ?)



Citation - Erri De Luca - 04 avril à 22:29
Trois passages de « Noyau d’olive », d'Erri De Luca (« Quatre pas avec Iona/Jonas ») :

- en hébreu, Iona (Jonas) veut dire colombe (« c’est la même Iona envoyée par Noé depuis l’arche après le déluge ») – et « c’est aussi le participe présent du verbe iana, opprimer. L’histoire du prophète se déroule entre ces deux termes opposés ».

- « il va à l’ouest au lieu d’aller à l’est [lorsque Dieu lui demande, pour la première fois, de se rendre à Ninive]. C’est le premier émigrant qui cherche son salut vers l’occident, fuyant le vieux monde ».

- « sa courte histoire marque une limite jamais plus atteinte dans la relation entre la personne et la divinité, où les raisons humaines prétendent demander compte à Dieu ».



Rigodon - 06 avril à 21:27
Mise en terre solennelle et émue, par le premier fils (Axel Bougousslavsky), d’un porc crevé, nous renvoyant, nous autres humains, au fait que nous partageons cet ultime destin du « monde vivant » avec les animaux et avec les plantes (le premier fils parle plus tard de « plantation de cochons »)…
Bouleversante adresse du troisième fils (Laurent Lucas), la tête sous l’eau dans sa baignoire, à son frère mort, cherchant absurdement à partager avec lui le comique de l’interruption des ébats de sa voisine par la livraison d’une pastèque devenue inutile, trop grosse pour lui, puisque Simon, son frère mort, ne viendra plus…
Eclatante assurance de la proclamation du deuxième fils (Olivier Gourmet) : « mais enfin, tout le monde le sait qu’il n’y a pas de Dieu ! »… (claquement de porte)
Pathétique crise de foi du curé (Thierry Bosc), citant Lacan sur la vie qui se soutiendrait de la mort comme « croyance » - testant les effets métaphysiques de sa parole, au moyen de la basse physique (acoustique) du micro de l’église - avouant son désarroi qui évolue en rage de dent (le cachet effervescent lentement dissout suffira-t-il à la calmer ?)…
Effondrement du père (Michael Lonsdale), l’éleveur de porcs en batterie, tenté par l’engloutissement dans sa production, et avec qui nous avons le sentiment de partager, en une scène glaçante accompagnée par la voix d’outre-tombe de Simon, l’expérience du « grand passage », dans la douleur et la solitude les plus extrêmes…




Citations - Freud / Lacan - 06 avril à 21:30
« Rendre la vie supportable est le premier devoir du vivant. L'illusion perd toute sa valeur, lorsqu'elle est en opposition avec ce devoir. Rappelons-nous le vieil adage : "si vis pacem, para bellum". Si tu veux maintenir la paix, sois toujours prêt à la guerre. Il serait temps de modifier cet adage et de dire : "si vis vitam, para mortem". Si tu veux pouvoir supporter la vie, soit prêt à accepter la mort. » (Sigmund Freud - Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, 1915)

« La mort est du domaine de la foi. Vous avez bien raison de croire que vous allez mourir, bien sûr ; ça vous soutient. Si vous n'y croyiez pas, est-ce que vous pourriez supporter la vie que vous avez ? Si on n’était pas solidement appuyé sur cette certitude que ça finira, comment est-ce que vous pourriez supporter cette histoire ? Néanmoins ce n’est qu’un acte de foi ; le comble du comble, c’est que vous n’en êtes pas sûr. » (Jacques Lacan, Conférence de Louvain, 1972)

« Au fond personne ne croit à sa propre mort ou, ce qui revient au même, dans son inconscient chacun est persuadé de sa propre immortalité. (…) La croyance à la mort ne trouve donc aucun point d'appui dans nos instincts. (…) L'angoisse de la mort, dont nous subissons l'empire plus souvent que nous ne le croyons, est quelque chose de secondaire et résulte le plus souvent du sentiment de culpabilité . » (Sigmund Freud - Considérations actuelles sur la guerre et sur la mort, 1915)

Qui a raison ?




dimanche 20 mars à 18h00
à Château-Gontier (Le Palace)


samedi 26 mars à 20h00
à Mayenne (Le Vox)


dimanche 27 mars à 18h25
à Laval (Cinéville)


lundi 28 mars à 16h00
à Laval (Cinéville)